Par Benoit Kriegel, Consultant, Auditeur et Formateur Qualité
Dans cette tribune je souhaite partager avec vous mon retour d’expérience au contact du Référentiel National Qualité et de la certification Qualiopi associée. Depuis 2 ans, j’accompagne des organismes de formation vers cette certification, ma société est elle même certifiée, ainsi qu’une association dont je pilote l’activité formation.
Et plus ça va, plus je trouve dans ce référentiel des irritants. Il me semble qu’un ensemble d’éléments manquent de clarté, que certains sont inutiles et surtout qu’il y a des trous dans la raquette.
Et pourtant, en prenant un peu de hauteur, en comprenant le sens des indicateurs, il est possible de trouver une valeur ajoutée pour les organismes de formation dans la certification Qualiopi, au-delà de la seule ouverture aux financements.
Les irritants du Référentiel National Qualité
Le premier point qui me chiffonne concerne le manque de clarté et les confusions liées aux termes employés. Procédure, procédé, processus, mesures formalisées sont utilisés à tour de rôle, sans qu’aucun ne soit préalablement et clairement défini. Une procédure est-elle un processus formalisé?
Vous me direz que certains termes sont explicités dans le Guide de lecture. Certains oui, d’autres non, et pas tous au même endroit! On trouve vingt-quatre définitions réparties sur douze des indicateurs! Il m’aurait semblé bénéfique de les réunir dans un glossaire centralisé et surtout exhaustif.
Un deuxième aspect que je trouve perturbant c’est la gestion documentaire. La conformité aux indicateurs doit être démontrée par des preuves documentées. Des processus doivent être formalisés. Mais on ne trouve aucun élément concernant la gestion de ces documents! Identification, gestion des versions, archivage? Rien.
Parlons ensuite de la mesure. Des indicateurs de résultats relatifs au niveau de performance doivent être diffusés. Leur choix est libre. “Des”, concrètement, cela signifie au moins deux. Et possiblement seulement deux. Il n’y a donc pas d’exigence de mesure de la performance des différents processus, ni de l’activité de formation.
Quel serait l'intérêt de mesurer la performance des processus? Et bien de savoir s’ils sont efficaces! Enfin, encore faudrait-il que des objectifs soient fixés sur cette performance. Car sans objectifs, point d’efficacité. Les résultats des indicateurs diffusés ne signifient donc pas grand chose.
Une autre activité potentiellement utile, mais absente, serait l’auto-surveillance. Ce qui prend la forme de revues de processus, de contrôles et d’audits internes dans les normes qualité ISO, par exemple. Les formes pourraient être différentes et adaptées aux organismes de formation. L'intérêt de ces activités c’est de vérifier que l’organisation définie est bien mise en œuvre, conforme et qu’elle fonctionne. Et donc que les mesures déployées avant la certification sont adaptées.
Je terminerais avec les deux points qui surprennent toujours le plus les organismes de formation que j'accompagne. Le référentiel exige d’évaluer l’atteinte des objectifs des prestations par les bénéficiaires. Très bien. On regarde leurs résultats d’évaluation, on les compare aux critères de réussite et on peut dire que untel a atteint les objectifs, tandis qu’un autre ne les a pas atteints. Et ensuite? Que faire pour ceux qui ne les atteignent pas? Et bien, le référentiel ne dit rien! Il n’y a aucune exigence d’analyse ou d’action.
Le pompon reste à mes yeux le recueil des appréciations des financeurs, cette partie prenante qui n'intervient pas dans les prestations! La majorité des organismes de formation envoie des enquêtes de satisfaction aux financeurs. Ceux-ci ne répondent pas. Les organismes de formation les relancent, car c’est exigé. Ils ne répondent toujours pas... Mais pourquoi diable devoir faire cela? Voici précisément le genre d’exigence qui décrédibilise la qualité aux yeux des organismes de formation.
Finalement je perçois le Référentiel National Qualité comme un texte réglementaire, dans lequel il manque les notions et les principes de démarche qualité, de management de la qualité, d’amélioration des performances, ainsi que du liant entre les exigences.
Les conséquences
Cette liste d’irritants pourrait m’être personnelle et finalement ne pas prêter à conséquences. Or c’est tout le contraire que je perçois dans mes échanges avec les acteurs de la formation.
Les organismes de formation éprouvent des difficultés à comprendre l'intérêt de la démarche et des exigences. Ils perçoivent Qualiopi plutôt comme une contrainte avec laquelle il faut composer. C’est pour eux une charge financière, du travail supplémentaire, sans retour sur investissement palpable, mis à part l’accès aux financements.
Ce qu’on va retrouver dans la réalité chez beaucoup trop d’organismes de formation, c’est ce que j’appellerai du “Datadock+”: des empilements de documents, sans forcément de cohérence ou de pertinence, dont la gestion est une plaie, mais dont l'existence va permettre d’obtenir la conformité en audit.
Les audits de certification Qualiopi sont d’ailleurs bien particuliers. Ils s'apparentent à des exercices de communication au cours desquels les auditeurs posent toujours les mêmes questions, auxquelles les audités apportent leurs réponses et montrent des documents, dont les auditeurs notent les références. Le timing court et la densité de ces audits laissent peu de place pour l’analyse et le questionnement de la pertinence des démarches déployées.
Ceux qui pour moi sont les plus déphasés vis à vis de Qualiopi ce sont les formateurs. Pourquoi ? Parce que Qualiopi n’aborde pas le contenu des formations, la pertinence des constructions et déroulés pédagogiques, des supports, les capacités de transmission, de mobilisation et d’animation de groupe des formateurs. Alors que pour eux la formation c’est ça, c’est l’essence même du métier!
Concrètement ces conséquences se traduisent par des démarches de mise en conformité à marche forcée avant l’audit initial dans le but d’être certifié. Démarches qui dérivent les mois suivants parce que le pourquoi n’a pas été intégré. Et qui nécessitent de remettre un gros coup de collier avant chaque audit pour maintenir la certification. Or ce n’est pas ça la qualité.
Se donner de la perspective
Le référentiel va-t-il évoluer? Oui, probablement. Par contre je ne sais ni quand, ni dans quelle mesure, ni dans quelle direction. Alors le mieux reste d’essayer de lire entre les lignes et de trouver du sens aux exigences.
Car lorsqu’on comprend le pourquoi d’une exigence, le principe sous-jacent, le lien avec les autres exigences, alors on parvient progressivement à mettre de la cohérence dans les réponses apportées. Lorsqu'on progresse vers une démarche globale cohérente, il devient légitime de lui associer un but qui ne peut plus être la seule obtention de la certification.
Quel peut être ce but? A quoi sert fondamentalement une démarche de management de la qualité? A la fourniture de produits et services conformes. A obtenir la satisfaction de ses clients et autres parties intéressées. Mais aussi et surtout à permettre à l’organisme d’évoluer, d’améliorer ses performances et ses résultats en termes de business. De progresser en termes d’efficience. De pérenniser et développer ses activités.
La véritable opportunité offerte par le management de la qualité c’est ça. Il est possible de la saisir à condition de réussir à se détacher des exigences du référentiel, de prendre de la hauteur de vue, de lire entre les lignes, de comprendre le pourquoi. Comprendre que la conformité aux exigences et la certification sont seulement la cerise sur le gâteau, mais ne sont pas le gâteau.
Alors vous allez me dire qu'on est encore loin de cette approche dans le monde de la formation? Que l'évolution à partir de Datadock nécessite du temps ? Peut être. Mais tout commence par une vision, une stratégie, des objectifs que l’on se fixe. Si ces objectifs ne portent que sur la certification, les fruits de la démarche se limiteront à la certification et le processus sera douloureux. Si les objectifs vont au-delà de la certification, s’ils concernent le développement des activités, alors la démarche qualité peut les soutenir.
Et finalement c’est ça qui me dérange le plus avec Qualiopi: l’absence de dimension stratégique et de sens associé à la qualité.